Si l'on devait faire une liste des besoins fondamentaux de l'homme, le besoin de sécurité figurerait sans doute parmi les premiers.
Vis-à-vis de la sphère sociale, nos existences seront toujours soumises au risque ; risque d'agression, de pauvreté, de mort, de clochardisation - si l'on peut dire.
Les hommes passent leur temps à élaborer des stratégies pour se prémunir contre le risque : passer des concours administratifs, ou, plus généralement, "trouver une place" comme on disait autrefois, "se caser" comme on dit aujourd'hui ; tout ça pour jouir (mais est-de la jouissance ?) d'un sentiment de plénitude qui renvoie, peut-être, à la satisfaction d'avoir réussi à se mettre en dehors de la vie.
Sécurité économique et affective.
[ D'ailleurs, un type avait proposé "Vauban" pour le nom de la promotion, et cela semblait faire consensus, jusqu'à temps que la honte submerge certains d'avoir choisi le nom d'un royaliste, et dont on ne retient (je veux dire dans la mémoire collective) seulement les ouvrages de fortification éparpillés sur le territoire. Mais spontanément, cette proposition allait de soi, puisqu'on a tellement besoin de se protéger. ]
Ce besoin, de surcroît, est tout à fait naturel et originaire. Satisfaire les besoins physiologiques, sécuriser sa survie par des flux réguliers d'aliments et de liquides ; de ce besoin primaire découle le travail, dont la finalité peut être nommée sécurisation ; et du travail découle la recherche de l'efficacité dans le travail, et de là naissent simultanément la division des tâches et le commerce. Les fonctions sociales se diversifient, apparaît la nécessité de coordination du groupe via la mise en place et la légitimation d'une hiérarchie sociale, elle-même pilotée par une organisation politique. Et voilà, le tour est joué.
Qu'est-ce qu'on s'en fout de savoir si l'homme est naturellement bon ou s'il est au contraire "un loup pour l'homme", qu'est-ce que ça change ? Est-ce que la manière dont les gens conçoivent la morale a des conséquences sur l'organisation d'une société ? A la marge seulement, par le système judiciaire qui se veut une socialisation de la morale.
On pourrait penser, parfois, dans des moments de désespoir, qu'il nous reste notre corps, notre identité en tant qu'être humain, le fait d'exister. Mais même cela est illusoire. Je ne me sens pas en sécurité dans mon corps car comme dans la rue, n'importe quoi peut m'arriver. Toute chose est source de danger potentiel.
Ce que je veux dire, finalement, c'est que l'histoire, le progrès scientifique, la médecine, la croissance économique, le développement, la mondialisation et toutes ces choses-là sont les conséquences d'une quête infinie de l'homme pour atteindre la sécurité, qu'il n'a pas initialement. Le besoin (ou désir ?) de sécurité a créé la manie de la perfectibilité.
Quand est-il alors de la volonté de puissance, de la domination, des guerres, des génocides ? Est-ce que les Allemands ont gazé des juifs par besoin de sécurité ? Ma théorie n'est-elle pas complètement absurde ?
Mais les Juifs étaient considérés comme une menace, et c'est pour cela qu'il fût procédé à une épuration. De même, les guerres ne sont-elles pas toujours un moyen de se défendre contre quelqu'un ? On attaque toujours parce qu'on craint d'être attaqué en retour. Ou alors, on contre-attaque, mais cela découle de la première attaque (mais euh c'est toi qu'a commencé !). Enfin bref.
C'est un peu comme la question de l'oeuf et de la poule, comme si l'oeuf, dans sa paranoïa, voulait se protéger de la poule. Mais la poule elle-même vient d'un oeuf ! Donc la paranoïa est héréditaire.
Oui, bon, je vais arrêter là. Philip K.Dick est en train de reprendre le contrôle de mon esprit.